Nicolas, rédacteur chez Interpost, travaille depuis cet hiver chez GEONAUTE, la marque de course d’orientation de Décathlon. Il est spécialisé sur la gamme des boussoles en tant qu’ingénieur produit. Dans cette série de deux articles réalisée en partenariat avec GEONAUTE, il nous éclaire sur le fonctionnement, pas aussi simple qu’il n’y paraît, des boussoles de course d’orientation.

Ce premier article est une introduction au fonctionnement des boussoles. Le deuxième article rentrera plus en détail dans la modélisation et les tests mis en place pour améliorer les performances des boussoles.

Quel est la différence entre une bonne ou une mauvaise boussole ? Avant de me retrouver à travailler chez Geonaute et de me creuser la tête afin de comprendre comment fonctionne cet objet et comment l’améliorer, j’avais le même niveau d’expertise que la plupart des orienteurs. Je prenais la boussole dans ma main, je la tournais brusquement en mettant des petits coups secs du poignet et je tranchais avec un air connaisseur : “C’est de la bonne came ! Bien rapide et stable”. Bref, je n’y connaissais pas grand chose !

Sous ses airs d’instrument simple et vieux comme le monde, le fonctionnement de la boussole de course d’orientation est beaucoup plus subtil qu’il n’y paraît. Dans cet article, je vous présente plus en détail les principales problématiques rencontrées par les fabricants de boussoles : l’équilibrage, la stabilité et la rapidité !

Principe de fonctionnement

Revenons à la base : à cause des courants de convection dans son noyau externe liquide (et oui Jamy !), la Terre se comporte comme un gros aimant.

Les pôle magnétiques se situent à peu près aux mêmes endroits que les pôles géographiques. Mais il y a quand même une différence de 11,5° entre les deux axes : c’est la déclinaison magnétique. Celle-ci varie dans le temps (les pôles bougent à une vitesse moyenne de 55 km/an). Cela n’a pas d’influence en course d’orientation car le nord indiqué sur les cartes est bien le nord magnétique. Sur les cartes topographiques (celles de l’IGN par exemple) par contre, le nord indiqué est le nord géographique. Il faut donc prendre en compte la déclinaison magnétique lors de l’utilisation de la boussole.

Partant de là, le principe de la boussole est très simple. On pose un aimant sur un support libre en rotation (par exemple sur un bouchon en liège flottant sur l’eau), et son pôle nord va naturellement pointer vers… le nord magnétique !

L’équilibrage

Problème de l’inclinaison du champ magnétique

Jusque là rien de bien compliqué. Mais c’était sans compter sur une propriété assez embêtante du champ magnétique terrestre : il est dans la plupart des cas incliné !

Pour rappel, un aimant crée un champ magnétique autour de lui. Visuellement, on peut représenter ça par de belles courbes qui viennent relier son pôle nord à son pôle sud : ce sont les lignes de champ. Quand on place un autre aimant dans le champ magnétique, les lois impénétrables de la physique vont tendre à l’orienter selon la ligne de champ qui passe à son emplacement.

aimant avec lignes de champ

Souvenez-vous, la Terre est un gros aimant. Elle crée donc elle aussi un champ magnétique, et des lignes de champ reliant son pôle nord à son pôle sud. Autre subtilité, le “pôle nord magnétique” est en fait le pôle sud de ce gros aimant. C’est logique : il attire le pôle nord des aimants des boussoles. On l’appelle pôle nord par convention.

Terre avec lignes de champ

En réalité, les pôle magnétiques de la Terre ne se trouvent pas à sa surface, mais quelque part sous la croûte terrestre. En regardant l’illustration ci dessus, on comprend bien que plus on se rapproche du pôle nord (géographique), plus les lignes de champ “plongent” vers le sol. Inversement plus on se rapproche du pôle sud plus elles “jaillissent” du sol. C’est ce que l’on appelle l’inclinaison du champ magnétique terrestre et cela pose problème pour les boussoles.

Par exemple en France, l’inclinaison est d’environ 65° vers le sol. L’aiguille d’une boussole est donc non seulement attirée vers le nord, mais aussi vers le bas. Cela pose deux problèmes :

GIF test équilibrage boussole Brésil

(Note : la boussole ci-dessus n’est pas une mauvaise boussole ! Elle est juste équilibrée pour un fonctionnement optimal au Brésil. Plus de détails sur les zones d’équilibrage plus bas dans l’article.)

Les solutions

Ce problème est connu depuis longtemps par les fabricants de boussoles. Il existe deux types de modèles qui permettent de le résoudre par des moyens différents :

Aiguille posée sur une pointe

design rotule

Ce montage est utilisé dans la plupart des boussoles plaques. L’aiguille est en acier magnétisé, et elle est simplement posée sur une pointe. De ce fait, elle est en permanence maintenue à l’horizontale par son propre poids, quelle que soit l’inclinaison du champ magnétique terrestre. L’avantage de cette solution est qu’elle est universelle : elle fonctionne n’importe où à la surface du globe. Ses inconvénients sont que :

GIF stabilité rotule

Aiguille en liaison pivot

Design pivot

Ce montage est utilisé dans la plupart des boussoles pouce. Ici, l’aiguille est en plastique, et un puissant aimant est collé en son centre. Contrairement au montage “posé sur une pointe”, elle est en liaison pivot avec la capsule. Pour résoudre le problème de l’inclinaison du champ magnétique terrestre, on vient décaler le centre de masse de l’aimant pour que son poids compense les forces magnétiques. Par exemple, en France où le champ magnétique pointe vers le bas, on recule l’aimant vers le sud pour “redresser” l’aiguille. Les avantages de cette solution sont que :

GIF comparaison stabilité

L’inconvénient est que la boussole ne peut être équilibrée que pour une seule zone du globe terrestre. En effet, dans l’hémisphère sud il faut “avancer” l’aimant vers le nord, alors que dans l’hémisphère nord il faut le reculer vers le sud. On ne peut même pas se contenter de deux modèles de boussole car plus on se rapproche des pôles, plus le champ magnétique terrestre est incliné. Plus l’aimant doit donc être décalé.

Idéalement, il faudrait une boussole différente pour chaque endroit sur Terre, ce qui est évidemment impossible à mettre en place pour les fabricants de boussoles. Ils ont donc découpé le globe terrestre en “zones d’équilibrage”, auxquelles correspondent différents modèles de boussoles.

GIF comparaison équilibrage

(Note : Encore une fois ces deux boussoles sont de bonne qualité, sauf que celle de droite est équilibrée pour le Brésil alors que celle de gauche l’est pour la France.)

PRO TIP : Pour savoir si votre boussole pouce est bien équilibrée pour votre position actuelle sur le globe terrestre, utilisez la méthode suivante :

  1. Mettez la boussole à l’horizontale
  2. Penchez la boussole sur le côté d’environ 20°, avec comme axe de rotation la direction du nord indiquée par l’aiguille lorsque la boussole est à l’horizontale.
  3. Si l’aiguille indique la même direction alors que la boussole est penchée, votre boussole est parfaitement équilibrée pour votre position sur le globe. Si l’aiguille bouge beaucoup, votre boussole est équilibrée pour une autre zone.

La stabilité des boussoles pivot

Dans les boussoles pouce à montage pivot, l’aimant n’est donc pas collé exactement au centre de l’aiguille. Ainsi, on résout le problème de l’inclinaison du champ magnétique terrestre, mais on en introduit un autre : celui de la stabilité. En effet, l’aimant décentré crée un balourd sur l’aiguille. Si la boussole est utilisée en courant, elle aura donc tendance à osciller.

GIF vidéo stabilité

(Note : La boussole ci-dessus est instable car équilibrée pour la Finlande où le champ magnétique est particulièrement incliné. Le décalage de l’aimant (et donc le balourd) est donc important pour que l’équilibrage soit optimal.)

C’est là qu’entre en jeu le fameux liquide contenu à l’intérieur de la capsule. Quelle est sa composition ? Ce n’est ni plus ni moins qu’une huile organique (issue de la chimie du pétrole), pouvant s’apparenter à du White Spirit.

Les fabricants de boussoles utilisent les frottements du fluide pour freiner l’aiguille, et donc limiter l’amplitude de ses oscillations. Pour les boussoles s’adressant aux orienteurs confirmés, nécessitant une grande stabilité de lecture en courant, ils ajoutent même un disque de stabilité. Il permet d’augmenter la surface de frottement et donc de limiter encore plus l’amplitude des oscillations de l’aiguille.

Disque de stabilité

Le compromis rapidité/stabilité

On a donc un aimant décalé pour corriger l’inclinaison du champ magnétique terrestre et un disque pour compenser la perte de stabilité occasionnée. On pourrait penser que l’on tient enfin la boussole idéale. Un dernier problème vient tempérer notre enthousiasme : la rapidité.

On l’a dit plus haut, les frottements du fluide sur l’aiguille “freinent” sa rotation. Logiquement, plus on augmente ces frottements (par l’ajout d’un disque de stabilité par exemple), plus l’aiguille est lente.

Malheureusement il n’existe aucune solution pour résoudre ce dernier problème : la rapidité et la stabilité sont deux propriétés contradictoires. Il faut donc déterminer le compromis rapidité/stabilité qui correspond le mieux aux attentes des utilisateurs.

Comparaison de la stabilité et de la rapidité entre une boussole avec beaucoup de frottements et une boussole avec peu de frottements :

GIF comparaison stabilité

GIF comparaison rapidité

J’espère que cet article vous a plu, et que vous avez appris des choses sur les boussoles de course d’orientation. Prochainement, le deuxième de la série qui traitera de la modélisation de leur comportement, et des bancs d’essais pour mesurer leurs performances !

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