La saison d’orientation a été bien chamboulée, mais certains coureurs ont su s’adapter à la situation en se frottant à d’autres disciplines. C’est particulièrement le cas de Frédéric Tranchand, qui n’est pas passé inaperçu sur la piste et en trail cette année. On ne le présente plus : Fredo, un des tauliers de l’équipe de France, dans le top 10 mondial, avec un palmarès un peu long à caser dans cette intro, dont sept médailles en Championnats du Monde. À travers cette interview, vous allez comprendre comment Frédo s’est adapté à la situation sanitaire, de l’Australie, vers les pistes Finlandaises puis sur les chemins des Alpes Suisses et Françaises, jusqu’aux Açores pour finir sur le podium de la renommée Golden Trail Series.

Interpost : Salut Fredo ! On va donc remonter assez tôt dans la saison pour que les lecteurs puissent avoir une vision globale de ton parcours cette année plutôt atypique. Aux premières mesures gouvernementales de confinement en France tu étais en Australie (les fans auront pu apprécier tes magnifiques gps drawing). Peux-tu nous expliquer ce qui t’a poussé à revenir en Australie (car c’est ton deuxième long séjour sur cette partie du globe) ?

Frédéric Tranchand : J’étais déjà 6 mois en Australie pendant l’hiver (ici) 2018-2019 dans le cadre d’un volontariat pour l’organisation de Course d’Orientation de l’état de Canberra, avec des missions allant du coaching et de l’organisation d’entraînements et d’événements, à la formation de coachs et à l’enseignement de la CO dans les écoles. Ça m’a beaucoup plu, en particulier l’opportunité de vivre avec différentes familles, qui m’a permis d’avoir une vraie expérience de la vie Australienne et la chance de voir un peu du pays, tout en pouvant bien m’entraîner, au chaud !

Étant un aventurier, n’ayant pas encore vraiment posé mes valises, je suis reparti à l’automne dernier, dans le même cadre, mais ce coup-ci dans l’état de Victoria, principalement à Melbourne (surtout chez la famille du champion du Monde junior de sprint, Aston Key) et à Bendigo (qui a d’ailleurs accueilli les championnats du Monde de CO en 1985). J’avais prévu de rentrer en Europe dès début Avril pour enchaîner avec la saison de CO, mais les conditions en ont décidé autrement, et mes vols étant annulés, j’ai fait un peu de rab de l’autre côté, pour finalement ne rentrer que début juillet.

I : Lorsque tu étais en Australie, y avait-il des mesures sanitaires aussi strictes qu’en France qui t’ont obligé à adapter ton entraînement ?

FT : Les mesures sanitaires en Australie étaient beaucoup moins strictes qu’en France (et peut-être plus adéquates ?) : la distanciation sociale était bien-sûr de rigueur, mais on n’avait pas la restriction du rayon d’1 km, et de durée d’1 heure pour s’exercer, et à condition d’être seul ou avec les membres de son foyer… Mes activités d’entraîneur étant presque toutes suspendues, j’occupais surtout mes journées en faisant de la cartographie et mon propre entraînement. J’ai surtout modifié mon entraînement à cause d’une petite blessure survenue à la suite d’une période très intense début Mars, dont je n’ai pas assez pris le temps de sérieusement récupérer (en partie parce que j’avais peur de devoir faire 14 jours de quarantaine en intérieur à mon retour potentiel en Europe, donc sans possibilité d’entraînement correct, ce qui n’a jamais eu lieu…). Du coup, j’ai fait pas mal de longues sorties VTT à explorer les forets pleines de kangourous, wallabies et autres, aux alentours de Bendigo, et profité pour faire quelques beaux entraînements de CO rendus fameux par les « Strava art » déssinés avec la trace GPS.

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I : En Août, de retour en Finlande, tu fais de beaux résultats sur piste : 29:55 au 10000m, médaillé de bronze aux championnats de Finlande sur 10000m et la 8ème place sur le 5000m (14 :42), et un mois plus tard une seconde place sur le championnat de Finlande de cross, le tout en continuant de courir en forêt pour le club de Paimion Rasti. Cela faisait-il partie de ton plan d’entraînement de participer à tant de compétitions d’athlétisme pures ?

FT : En fait, avec un état d’esprit positif, je n’ai pas été tellement contrarié que toute la saison internationale de CO soit annulée. Au contraire, je me suis dit que, pour une fois, je pourrais faire d’autres choses (à condition que d’autres choses soient organisées :o ). Depuis le début de l’année, j’avais prévu de courir Sierre-Zinal, et c’était vraiment encourageant de voir ce que les organisateurs ont mis en place pour s’assurer que la course ait bien lieu. Du coup, c’était clairement un objectif qui me motivait ! Ensuite, les championnats de Finlande d’athlétisme étaient organisés à Turku, là où je suis basé depuis que je suis en Finlande (fin 2013), ce qui m’a bien motivé pour faire quelques tours de piste. Je me suis donc aligné sur le 10 000m, qui était la course où j’estimais avoir le plus de chance. Pour cela, il fallait que je me qualifie : rien de mieux que de tenter de le faire avec la manière en passant sous la barre des 30’ ;)

Deux jours après le 10 000m des nationaux avait lieu le 5000m que je n’avais pas prévu de courir. Mais comme j’avais fait les minima et que mon club était un des organisateurs du championnat, j’avais ma place sur la ligne de départ, que j’ai finalement prise. C’était une belle expérience de courir avec beaucoup d’encouragements dans un stade d’athlé mythique en Finlande, Paavo Nurmi, et bien rempli pour l’occasion.

L’enchaînement avec les courses de la league de relais ¨viestiliiga¨ n’était pas simple à gérer, mais c’était sympa de jouer sur différents tableaux !

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I : À la fin du mois d’Août, tu participes à la mythique Sierre-Zinal (en contre la montre, par mesure sanitaire). Comment en es-tu arrivé à courir cette course ? Avais-tu déjà en tête de t’aligner sur plus de courses en trail cette saison ?

FT : En fait, j’avais été invité dès le début de l’année, sur recommendation de Mathias Kyburz je crois, et je prévoyais de la courir car ça jouait pas trop mal dans le calendrier de CO.

J’avais déjà couru et remporté un Trail bien populaire de la région de Melbourne en janvier et j’étais bien motivé pour en faire plus.

I : Tu termineras sur la deuxième marche du podium à trente secondes de Kilian Jornet et devant de nombreuses pointures du monde du trail. C’est donc avec le Golden Ticket en poche pour la finale de la Golden trail Series que tu ressors de cet « essai » au trail. Cette finale s’effectue aux Açores, sur 4 courses en 4 jours, représentant au total 110 km pour 5000 m de dénivelé positif, et tout cela sur des sentiers plus techniques les uns que les autres. As-tu décidé de préparer cette compétition à fond ?

FT : La finale de la Golden Trail Series était bien sûr devenue le gros objectif de la (fin de) saison, et j’ai essayé de me préparer en passant un peu de temps dans les chemins pentus et techniques du Pilat.

I : Comment s’est passée la préparation de la finale de la Golden Trail Series ? Tu as participé et remporté la Skyrace des Matheysins quelques jours avant les Açores, tu étais confiant sur ta bonne forme du moment ?

FT : La Skyrace des Matheysins était une sacrée belle course où je me suis bien employé. Ça m’a montré que j’étais bien compétitif sur ce format, et ça m’a donné de la confiance. Cependant, il s’agissait de bien récupérer et de répéter cet effort sur 4 jours de suite aux Açores. Et ça, j’étais vraiment pas sûr d’y arriver !

I : La finale de la Golden Trail Series, c’est un classement général bien sûr. Mais c’est aussi un classement par segments à la manière d’un tour de France, avec des segments montée, descente, et sprint. Jouer sur plusieurs tableaux paraissait compliqué, avais-tu un plan en tête sur la ligne de départ ?

FT : Je voulais surtout voir où j’en étais par rapport aux autres coureurs, en faisant de mon mieux dès la première étape puis évaluer si je devais me concentrer sur le général ou sur des segments. Le niveau étant relevé et dense, je crois que ça n’aurait pas été possible de jouer sur plusieurs tableaux. Au final, je crois que mes meilleures chances étaient sur le général, à condition de pouvoir tenir l’enchaînement (car je n’étais pas assez rapide pour gagner le sprint, pas assez fou pour la descente, et ça aurait été dur de gagner la montée…).

I : Tu as pu découvrir le monde du trail en comité plutôt restreint, avec des coureurs internationaux, et aussi pas mal d’orienteurs. Peux-tu nous parler de l’ambiance sur place, dans ce contexte COVID ?

FT : C’est sûr que l’ambiance était bien particulière avec le contexte : il fallait montrer patte blanche avec plusieurs tests Covid négatifs, notre température était vérifiée à chaque départ, on devait porter le masque et appliquer les gestes barrières… Ceci dit, c’était vraiment sympa de rencontrer les élites du Trail, et en particulier tous les francais et francophones présents. Il y avait, en effet, plusieurs têtes connues de la CO (Suisses, Epagnols, Suédois…) et c’était cool de les voir performer aussi, et faire le show des orienteurs !

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I : Première course de la série, victoire ! Nous supposons que la course s’est bien passée. Quelles étaient tes premières pensées au moment de franchir la ligne ? Penses-tu que les conditions météo ont joué en ta faveur ?

FT : La première étape était vraiment dure (surtout pour les non-orienteurs ;) ) avec en particulier une longue montée dans la boue, dans une forêt bien sombre, un vent à s’envoler sur le sentier technique et peu visible autour du cratère, une descente très engagée dans la tourbe et même un final interminable fait de relances dans un petit bois, de pierriers de roche volcanique, et de bosquets dans les dunes. J’ai compris que c’était plutôt en la faveur des orienteurs et ça m’a bien motivé pour me battre d’autant plus. Comme j’étais à l’avant, j’ai fait l’effort pour remporter l’étape quitte à y laisser des plumes avant les étapes suivantes, qui étaient toutes aussi dures…

I : Tu montres une belle régularité sur les trois courses suivantes : 6ème (+3min25), 8ème (+9min25) et 3ème (+5min51), avec à la clef un magnifique podium au classement général (+16min21), troisième derrière le polonais Bart Przedwojewski et l’américain Jim Walmsley. Es-tu satisfait de ta gestion de la compétition ?

FT : Oui, je suis vraiment content : j’étais en grande difficulté à la fin de l’étape 2 où je n’arrivais plus à courir correctement à cause de mes jambes devenues plus raides que des bouts de bois suite à une longue descente et une partie plate. J’ai bien cru que je n’arriverais jamais au bout du championnat alors que l’on n’était même pas au millieu ! J’ai été très prudent sur l’étape 3 en faisant attention de bien m’hydrater et m’alimenter sans trop tirer sur la machine ni trop perdre de temps, ce qui m’a donné un regain d’énergie décisif sur la dernière étape, où j’ai tout donné. Je crois que je n’aurais pas pu faire mieux !

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I : Avec cette entrée par la grande porte dans le monde du trail, et en espérant vivre une saison normale l’an prochain, penses-tu qu’il est possible de jouer sur les deux calendriers ? (ndlr : orientation et trail)

FT : Oui j’aimerais bien ! En tout cas, les WOC en Tchéquie début Juillet restent mon objectif principal.

I : En parallèle de tous ces résultats, tu as continué de préparer les Championnats du Monde 2021, notamment avec deux stages de l’équipe de France sur les terrains proches des compétitions, en République Tchèque. Sans parler d’objectif de performance précis pour ces championnats, aimes-tu les terrains tchèques ? Penses-tu qu’ils pourront convenir à ton profil d’orienteur ?

FT : Il y aura 2 types de terrains bien distincts en forêt Tchèque qui ont tous deux leurs cachets ! En tout cas, je suis bien motivé pour préparer au mieux ce championnat, et on verra ce que ça va donner !

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Merci Fredo ! En te souhaitant tout de bon pour la suite.

Crédits photos :
Photo de couverture : ©GoldenTrailSeries® - Azores Trail Run® - Martina Valmassoi
©GoldenTrailSeries® - Azores Trail Run® - Philipp Reiter
©GoldenTrailSeries® - Azores Trail Run® - Jordi Saragossa
Sven Alexandersson

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